Un jour que je revenais Vous imaginez bien Non lui dis-je à mon plus vif Étonnement Tandis que je le suivais comme Il me plaisait Tiens, me montra-t-il En me faisant empoigner…
C’est bien meilleur que Le bonheur pensai-je Dès que je m’appliquais à Le prendre davantage Par la main pour le faire Monter
A quelques étapes du déclin Avant que le nom ne s’évapore Que le corps d’état s’efface Qu’il ne reste que lumière étirée Aussi longtemps que le souvenir, Ici-bas, puisse perdurer.
Avant de retourner aux structures Complexes de l’immensité A la géométrie si peu contrariée Aux circonférences changeantes Au gré des avancées.
Lustres aux paupières Les lumières étincellent En dedans Tu danses Dans le dédale De tes rêves Oubliés Eblouie Par des visages A l’espoir Invaincu Sillonnés de rides En rigoles profondes Sur la peau tannée Lorsqu’un sourire Apparaît Comme un oiseau S’envole Le palais Couvert de mousse Tes paroles S’étiolent Jusqu’à expirer Avant de devenir Des bourgeons D’où jailliront Des mots inconnus Puisés Dans un fragment Du passé Qui file entre tes doigts Comme l’eau D’un ruisseau Des mots inaudibles Qu’il faudra Presser contre ton cœur Pour qu’ils palpitent A leur tour Et leur insuffler Un peu de vie Avant de les éparpiller Aux quatre vents Tandis que la lumière Faiblit Et que tu cherches encore Le soleil Au fond d’une malle
Sur tes trottoirs enduits de poudre, des séraphins ivres se laissent aller, jeûnent à coup de temps mort, de petits compromis fumeux dans l’amnésie du soir. Ici, on s’arrange comme on peut avec les trocs. À l’ombre des blocs, les journées se grignotent, se recrachent aussitôt.
Sur tes boulevards, les volants, à coup d’aigreurs bureaucratiques basculent. Klaxon contre klaxon, les mouettes mitraillent le sol. Tout s’étiole lentement. Les ancêtres en file indienne se prosternent devant le pope : un cierge allumé au nom des exilés.
Les gloires statufiées veillent au grain. Sur tes places éventrées, boyaux et viscères du faste d’antan. La vie s’accroche à des relents de beauté. Des cratères sur le pavé, les gamins improvisent. À saute-mouton pieds nus et hop dans ton énorme gueule.
Dans l’impasse, l’herbe gangrène le béton, un vaste portail mauresque, des résidus de lumière pendus aux fenêtres. Les Mille et une nuit dans un trompe l’œil. Tout ici appelle aux souvenirs. On glisse sur toi en reconnaissant seulement des bribes, en fulminant sur un ailleurs. Dans l’impossibilité, pourtant, de te fuir.
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TIGANESTI
La campagne éteinte, la pluie claque. Souffrent les arbres tordus et suppliants qui, dans une diagonale ridicule, un dernier sursaut de dignité, s’arrachent de leurs lits pour prendre leur envol. Les animaux aux regards fous s’exilent vers des déserts hypothétiques. Seule la terre exulte, elle avale goulument. Une soif impossible à étancher. Au point que la Garla d’habitude plutôt calme et marron clair, déborde d’agitation et devient couleur de pierre. Refluent à sa surface des cadavres de vélos rouillés, des jouets déréglés. Les seules silhouettes perdues dans le lointain plongent dans la brume jusqu’à la taille.
Commérages des feux de cheminée, les fenêtres sont comme des écrans opaques : ombres gesticulant d’une pièce à l’autre, buées de soufre et de misère. Ce sont les verres qui claquent à présent, un tintement continu. Parfois, des voix encore humaines remontent vers le ciel et rencontrent l’écho du tonnerre. Les bancs en bois devant les portails sont vides. Leurs pieds sont rongés jusqu’à la moelle. Les mauvaises herbes s’y installent. Se liquéfient les traces de pas. Les chiens errants boivent leurs empreintes. La forêt dévêtue dévisage impuissante la vie calfeutrée, les rires murés dans l’hiver.
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FILS DE CHIEN
Tu parles d’un poète ! Embourbé jusqu’à la moelle Loin des villes du manque Le sang en suspension Sur ce bout de pain noir La campagne roumaine Et ses bâtards furibards T’empêchent de couler en silence Ta détresse et ton errance Eux aussi pensent avoir le monopole : Du rejet, du vide, de l’inutile
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LA SIESTE
J’ouvre les yeux un peu troubles du songe La rumeur du jour pique à vif Kaléidoscope rétinien D’ombres roumaines striées de veines Passage du noir au rouge Puis les piaillements amis Le cahot des charrettes Et les bâtards qui leur courent après Des voix familières dans la cloison Nomment sans le brusquer le dormeur L’appel en doux murmures suivis d’éclats de rire Se lever avant que le lit ne me ramène définitivement A cette torpeur molletonnée de l’entre-soi Le soleil qui se pose sur un coin de fraîcheur Une invite, une promesse renouvelée Aucune urgence Le monde m’attend Me recoucher Le faire languir encore un peu